Le délai de préavis et la notion de brusque rupture

Les relations commerciales sont loin d’être un long fleuve tranquille et la plupart d’entre elles sont amenées à se terminer.

A l’instar des relations amoureuse cette fin peut être désagréable pour la personne qui subit celle-ci. Tel est le cas en présence d’une brusque rupture.

Le premier paragraphe du II de l’article L 442-1 du code de commerce permet à la personne qui subit une brusque rupture d’obtenir une réparation pour le préjudice ainsi causé puisque selon ses termes « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ».

Il est possible de commenter ce texte sur plusieurs points. Ainsi on peut s’attarder sur la notion de réparation. Il est également envisageable de vouloir déterminer plus précisément les relations commerciales visées par cet article (1). Il est aussi possible de se concentrer sur la brutalité de la rupture (2). C’est sur ce dernier point que nous allons consacrer le présent article.

Pour déterminer si une rupture est brutale il faut vérifier au cas par cas si nous sommes en présence d’un préavis écrit d’une durée suffisante. Cette durée suffisante s’apprécie en tenant compte notamment de la durée de la relation commerciale nous indique le premier paragraphe du II de l’article L 442-1 du code de commerce.

Ainsi en pratique plusieurs éléments sont pris en considération pour évaluer si le préavis présente une durée suffisante. Parmi ces différents éléments il est possible de citer l’ancienneté de la relation, l’importance de l’activité, le volume d’affaires, la présence d’une dépendance économique vis-à-vis de l’auteur de la rupture.

Ces éléments toutefois ne permettent pas de déterminer facilement la durée d’un préavis suffisant pour éviter une brusque rupture. C’est pourquoi il peut être tentant de procéder autrement en prenant en considération non pas les faits spécifiques à chaque cas d’espèce mais plutôt en observant les décisions rendues par les juridictions qui se sont prononcées sur la durée du préavis relatif à la brusque rupture des relations commerciales établies.

Or l’observation des décisions de justice passées nous enseigne que les juges ont tendance à retenir un mois de préavis par année d’ancienneté de la relation commerciale établie (3). Cette tendance est appréciable car elle permet d’estimer plus facilement la durée du préavis à retenir pour rompre une relation commerciale établie.

Toutefois des tentatives ont été faites pour affiner cette tendance. Ainsi Bertrand Thoré et Alexandre Nouvel ont publié une étude effectuée suite à l’analyse de 254 décisions de justice rendues entre les années 2000 et 2017 et dans lesquelles une rupture brutale a été sanctionnée (4).

L’analyse de ces décisions de justice les a conduit à considérer qu’il est nécessaire de nuancer « l’idée selon laquelle (…) pour chaque année de relation commerciale est accordé un mois de préavis ». A partir des deux modèles distincts ils parviennent à la conclusion que la rupture d’une relation commerciale de quinze ans nécessiterait pour ne pas être brutale un préavis d’une durée de onze mois (pour le premier modèle) ou de douze mois (pour le second modèle). Ainsi au plus la durée de la relation commerciale serait longue, au plus la tendance à octroyer un mois de préavis par année d’ancienneté s’effacerait au profit d’une durée plus faible.

Par ailleurs deux points particuliers doivent être évoqués concernant la durée du préavis. Ces deux points sont prévus par le II de l’article L 442-1 du code de commerce.

En effet cet article prévoit qu’en cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois (5).

Cet article prévoit également que la résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure, n’est pas constitutive d’une brusque rupture.

Notes de bas de page :

(1) Le premier paragraphe du II de l’article L 442-1 du code de commerce mentionne expressément « les relations commerciales établies ». Ce qui impose d’en déduire par une lecture a contrario que la brusque rupture des relations commerciales non établies n’engage pas la responsabilité de l’auteur de cette rupture. A notre sens une relation commerciale établie suppose une certaine importance en ce qui concerne l’activité et le volume d’affaires ainsi qu’une certaine ancienneté.

(2) La notion de brusque rupture va sanctionner non pas la rupture elle même mais sa brutalité.

(3) S’agissant d’une tendance cela ne signifie pas que chaque juge se prononce nécessairement ainsi.

(4) Bertrand Thoré et Alexandre Nouvel, « Rupture brutale des relations commerciales : durée du préavis », 24 avril 2018, https://www.alain-bensoussan.com/avocats/rupture-brutale-relations-commerciales/2018/04/24/

(5) Il est aussi possible d’estimer à partir de cet article que la réparation susceptible d’être obtenue en cas de brusque rupture ne peut pas dépasser le chiffre d’affaires qui aurait été réalisé pendant une durée de dix-huit mois.