📜 Évolution du Conseil constitutionnel : un danger pour la dĂ©mocratie đŸ›ïž

Depuis plusieurs décennies le Conseil constitutionnel a pris des libertés avec la Constitution de la cinquiÚme république, sortant complÚtement du rÎle pour lequel il avait été créé au point de déséquilibrer totalement les institutions et de devenir un danger mortel pour notre pays.

Si le Conseil constitutionnel a eu dĂšs l’origine diffĂ©rentes missions, les deux plus importantes d’entre elles rĂ©sident pour l’une dans le contrĂŽle de la conformitĂ© des Lois Ă  la Constitution, contrĂŽle prĂ©vu par l’article 61 de la Constitution, et pour l’autre dans le respect de la distinction entre le domaine lĂ©gislatif et le domaine rĂ©glementaire, dans le but d’éviter que le pouvoir lĂ©gislatif empiĂšte sur les attributions du pouvoir exĂ©cutif, ce second rĂŽle lui Ă©tant dĂ©volu par l’article 37 de la Constitution. On pouvait d’ailleurs penser au lendemain de l’entrĂ©e en vigueur de la Constitution de 1958 que ce second rĂŽle serait le plus important, alors que, dans les faits, le contrĂŽle de constitutionnalitĂ© des Lois a nettement pris le dessus.

Concentrons-nous sur le contrĂŽle de la constitutionnalitĂ© des lois. Nous pouvons constater que le texte initial de la Constitution prĂ©voyait qu’il incombait au conseil constitutionnel, en application de l’article 61 de la Constitution de vĂ©rifier la conformitĂ© des lois Ă  la Constitution, du moins pour les seules lois qui lui Ă©taient soumises avant promulgation, Ă©tant prĂ©cisĂ© que seuls le PrĂ©sident de la RĂ©publique, le Premier Ministre, ou le prĂ©sident de l’assemblĂ©e nationale ou du SĂ©nat, pouvaient dĂ©fĂ©rer ces lois au Conseil constitutionnel. Ces Ă©lĂ©ments sont tous importants puisque le dysfonctionnement actuel du Conseil constitutionnel a Ă©tĂ© initiĂ© par cette institution et aggravĂ© par les rĂ©formes constitutionnelles qui ont par la suite modifiĂ©es le texte de la Constitution.

Nous allons procĂ©der par Ă©tape en Ă©voquant tout d’abord l’origine du mal dont souffre actuellement le fonctionnement de nos institutions, et plus largement notre pays, Ă  savoir l’initiative du Conseil Constitutionnel pour accroĂźtre ses pouvoirs.

En effet le contrĂŽle de la constitutionnalitĂ© des lois devait ĂȘtre effectuĂ© uniquement par rapport au texte de la Constitution. Toutefois le Conseil constitutionnel allait Ă©largir les normes sur lesquelles il peut s’appuyer pour procĂ©der Ă  cette vĂ©rification en procĂ©dant progressivement Ă  la crĂ©ation d’un vĂ©ritable bloc de constitutionnalitĂ©, selon une expression dĂ©sormais convenue dont le mĂ©rite revient Ă  Claude Emeri. Dans la crĂ©ation de ce bloc de constitutionnalitĂ© le moment dĂ©cisif rĂ©side dans une dĂ©cision du Conseil constitutionnel en date du 16 juillet 1971 par laquelle le Conseil constitutionnel a Ă©tendu son contrĂŽle Ă  la conformitĂ© des lois au prĂ©ambule de la Constitution. Le Conseil constitutionnel motive explicitement sa dĂ©cision en se fondant sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la RĂ©publique et solennellement rĂ©affirmĂ©s par le prĂ©ambule de la Constitution.

En faisant rĂ©fĂ©rence au prĂ©ambule de la Constitution le Conseil constitutionnel prend la libertĂ© de se fonder sur la DĂ©claration des droits de l’homme de 1789, sur le prĂ©ambule de la Constitution de 1946, sur les principes fondamentaux reconnus par les lois de la RĂ©publique puisque cette expression est prĂ©sente dans le prĂ©ambule de la Constitution de 1946, Ă©tant prĂ©cisĂ© qu’il n’existe aucune liste ou dĂ©finition de ces principes fondamentaux, ce qui permet au Conseil constitutionnel de les dĂ©finir Ă  sa guise.

En procĂ©dant ainsi, le Conseil constitutionnel a rĂ©alisĂ© un vĂ©ritable coup d’État institutionnel. En effet le prĂ©ambule de la Constitution ne devait pas avoir la mĂȘme valeur juridique que les articles de la Constitution. Dans leur ouvrage relatif au commentaire de la Constitution Guy Carcassonne et Marc Guillaume rappellent la raison d’ĂȘtre de ce prĂ©ambule, en ces termes : « Le gĂ©nĂ©ral de Gaulle avait parcouru, dans une lĂ©galitĂ© de
circonstance, le chemin de Colombey-les-Deux-Églises Ă  Paris. Or ce chemin lui avait Ă©tĂ© ouvert par les officiers factieux qui, Ă  Alger le 13 mai 1958, s’étaient insurgĂ©s contre le pouvoir de la RĂ©publique. Il n’était donc pas superflu, pour dissiper les derniĂšres craintes, de rĂ©affirmer les principes bafouĂ©s quelques semaines auparavant » plus loin les auteurs ajoutent : « les rĂ©dacteurs de la Constitution pensaient sacrifier Ă  un rite opportun, en la faisant prĂ©cĂ©der d’une formule propitiatoire », et ajoutent encore, en faisant rĂ©fĂ©rence Ă  la dĂ©cision prĂ©citĂ©e du conseil constitutionnel et Ă  ses suites : « le premier alinĂ©a du prĂ©ambule a acquis une importance considĂ©rable, que ses auteurs n’avaient pu imaginer », fin de citation.

Dans le mĂȘme sens nous pouvons noter que dans un entretien donnĂ© Ă  la revue Espoir en 1992 Robert Badinter reconnaĂźt que pour le GĂ©nĂ©ral de Gaulle il Ă©tait « hors de question d’Ă©tendre le respect de la Constitution aux principes visĂ©s dans le PrĂ©ambule de la Constitution », Robert Badinter ajoutant : « la question a Ă©tĂ© posĂ©e au cours des travaux prĂ©paratoires et le Commissaire du Gouvernement, M. Janot, a Ă©tĂ© extrĂȘmement prĂ©cis Ă  ce sujet en dĂ©clarant devant le ComitĂ© consultatif constitutionnel : Mais ni la DĂ©claration ni le PrĂ©ambule n’ont, dans la jurisprudence actuelle, valeur constitutionnelle. Leur donner valeur constitutionnelle aujourd’hui, au moment oĂč on crĂ©e un Conseil constitutionnel, c’est aller au-devant de difficultĂ©s considĂ©rables, et c’est s’orienter dans une trĂšs large mesure vers ce gouvernement des juges, que beaucoup d’entre vous croyaient redoutable », fin de citation.

Avec cette dĂ©cision du 16 juillet 1971 le Conseil constitutionnel a pris un pouvoir immense dont la seule limite semble ĂȘtre sa propre volontĂ©. Ainsi le Conseil constitutionnel au fil du temps se complut Ă  multiplier les principes et les rĂšgles de valeurs constitutionnelles que le lĂ©gislateur doit respecter. À ceux-ci le Conseil constitutionnel ajouta des objectifs de valeur constitutionnelle, nouvelle catĂ©gorie sortie du chapeau venant elle aussi contraindre le pouvoir lĂ©gislatif.

Cette situation dĂ©jĂ  dangereuse allait encore ĂȘtre aggravĂ©e par plusieurs rĂ©formes constitutionnelles ayant pour consĂ©quence l’augmentation du nombre de textes sur lesquels le Conseil constitutionnel peut se prononcer, ce qui est d’autant plus fĂącheux que lorsqu’il est saisi d’un texte, le Conseil constitutionnel peut se prononcer sur l’ensemble du texte, mĂȘme si la saisine ne porte que sur une partie de celui-ci.

Ainsi en va-t-il de la modification de la saisine du Conseil constitutionnel initialement rĂ©servĂ©e au PrĂ©sident de la RĂ©publique, au Premier ministre, au PrĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale ou Ă  celui du sĂ©nat, elle a Ă©tĂ© ouverte en 1974 Ă  soixante dĂ©putĂ©s ou sĂ©nateurs. Ainsi en va-t-il Ă©galement de la question prioritaire de constitutionnalitĂ©. PrĂ©vue depuis 2008 Ă  l’article 61-1 de la Constitution cette question prioritaire de constitutionnalitĂ© peut amener le Conseil constitutionnel Ă  se prononcer sur une loi dĂ©jĂ  entrĂ©e en vigueur.

Dans la mĂȘme optique il faut prĂ©ciser que le prĂ©ambule de la Constitution a Ă©tĂ© modifiĂ© en 2005 pour insĂ©rer dans celui-ci la rĂ©fĂ©rence aux droits et devoirs dĂ©finis dans la Charte de l’environnement de 2004, faisant ainsi rentrer ceux-ci dans le bloc de constitutionnalitĂ©.

La puissance acquise par le Conseil constitutionnel est d’autant plus gravissime que loin d’ĂȘtre impartial, celui-ci entend bien user de celle-ci pour faire triompher sa propre idĂ©ologie. Robert Badinter lorsqu’il Ă©tait PrĂ©sident de cette institution n’avait pas cachĂ© son manque de partialitĂ© et de nos jours Laurent Fabius a repris le flambeau sur ce point. En France la vĂ©ritable Cour suprĂȘme c’est le peuple disait en son temps le GĂ©nĂ©ral de Gaulle, mais le Conseil constitutionnel ne l’entend pas ainsi. Les membres de cette institution ont au fil du temps ƓuvrĂ©s pour transformer celle-ci en un vĂ©ritable gouvernement des juges oĂč une poignĂ©e de privilĂ©giĂ©s non Ă©lus modifient selon leurs bons vouloirs et sans aucun contrĂŽle des textes adoptĂ©s par les reprĂ©sentants du peuple.

Dans son livre « Le coup d’État des juges », Eric Zemmour rĂ©sume parfaitement la technique utilisĂ©e par le Conseil constitutionnel, en ces termes : « la mĂ©thode est simple, inspirĂ©e de l’expĂ©rience deux fois sĂ©culaire de la Cour suprĂȘme. Le juge pioche, dans les DĂ©clarations incantatoires et vagues Ă  souhait de 1789 et 1946, ou dans les conventions europĂ©ennes des droits de l’homme, des principes, qu’il dĂ©couvre, interprĂšte, façonne tel un alchimiste douĂ©. Longtemps mĂ©connus, et pour cause, ces principes sont prĂ©sentĂ©s comme rĂ©trospectivement Ă©vidents , le juge les consacre, les oints de son huile sacrĂ©e, et les impose Ă  un pouvoir qui n’en peut mais. S’il se sent moins fort, moins sĂ»r de lui, il Ă©met des rĂ©serves d’interprĂ©tation qui, sous couvert de bonnes notes accordĂ©es au lĂ©gislateur, vident de son sens le texte prĂ©sentĂ© et interdisent Ă  tout futur gouvernement de revenir sur la question, sans passer sous ses fourches Caudines. C’est de la belle ouvrage, oĂč l’arbitraire est parĂ© des oripeaux du Droit et de la hiĂ©rarchie des normes », fin de citation ;

Cette situation impose de s’interroger sur l’opportunitĂ© d’au minimum restreindre les pouvoirs du Conseil constitutionnel, voire de le supprimer, Ă©tant prĂ©cisĂ© que l’état de la Constitution de la cinquiĂšme rĂ©publique, dont le texte a Ă©tĂ© profondĂ©ment dĂ©gradĂ©, conduit Ă©galement Ă  s’interroger sur le devenir de la RĂ©publique, qui n’a finalement fonctionnĂ© rĂ©ellement qu’en prĂ©sence du GĂ©nĂ©ral de Gaulle.