Comment bien négocier un contrat

La conclusion d’un contrat peut être précédée par une phase de négociation précontractuelle. Pendant celle-ci les parties vont discuter et généralement échanger des arguments et des documents dans le but de parvenir à un accord. Il va y avoir des propositions, certaines vont être acceptées, d’autres vont être refusées. Il y aura ensuite des contre-propositions, qui elles-mêmes pourront faire l’objet d’une acceptation ou d’un refus et qui pourront entraîner la formulation d’autres contre-propositions, ces phases se succédant jusqu’à la conclusion d’un accord ou jusqu’à la rupture des pourparlers.

Les règles applicables à la négociation sont prévues par les articles 1112 à 1112-2 du code civil. Elles ont été insérées dans le code civil par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Le second alinéa de l’article 1112 du code civil a ultérieurement été modifié par l’article 3 de la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance précitée.

Ces articles du code civil prévoient des obligations applicables lors des négociations et des sanctions. Pour négocier un contrat il faut tenir compte de ces règles mais il faut également adopter un comportement adapté.

1) Les règles applicables aux négociations

Bien que les négociations sont empreintes d’une certaine liberté, celle-ci n’exclue pas de respecter une obligation d’être bonne foi, une obligation d’information et une obligation de confidentialité.

a) La liberté

L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Cette règle est posée par l’alinéa 1 de l’article 1112 du code civil.

La liberté d’engager les négociations

Il résulte de cette règle que les parties n’ont pas d’obligation d’ouvrir des négociations. Une partie ne peut pas contraindre l’autre à rentrer en négociation, du moins selon l’article précité.

Cette affirmation est toutefois à pondérer car en réalité la situation peut être très différente.

Ainsi en pratique il est tout à fait possible qu’une partie dispose de moyens de pressions sur l’autre partie. Elle pourrait par exemple faire comprendre à l’autre partie que si elles ne discutent pas du contenu d’un contrat particulier, elles ne réaliseront dans l’avenir plus d’affaire ensemble. Ceci impacterait le chiffre d’affaires de la partie qui ne souhaitait pas négocier et pourrait la contraindre à accepter des pourparlers. Dans une telle situation elle serait d’ailleurs probablement en position de faiblesse lors des discussions et pourrait accepter des contraintes qu’elle refuserait en temps normal. Dans ce cas la liberté est affirmée juridiquement mais est bafouée dans la réalité.

La liberté d’engager des négociations peut aussi ne pas s’appliquer lorsque les parties s’étaient antérieurement engagées à négocier. Cet engagement résulte généralement d’un contrat. Ainsi, par exemple, les parties pourraient avoir conclu un contrat cadre de prestations dont les dispositions leurs imposeraient de négocier par la suite pour établir un contrat d’application. De même les parties peuvent avoir conclu des conditions générales pour un contrat et s’être engagées à entamer des pourparlers pour parvenir à un accord concernant des conditions particulières.

La liberté d’organiser le déroulement des négociations

Les parties peuvent ne pas prévoir de règles particulières pour le déroulement des négociations. Mais elles peuvent au contraire vouloir organiser d’une façon contraignante le déroulement des négociations.

Cette organisation sera alors le plus souvent prévue contractuellement, soit par un contrat antérieur qui leur impose de négocier, soit par un contrat spécifique conclu lors des négociations.

L’objet même de ce contrat peut varier. Les parties peuvent se limiter à une obligation de négocier. Mais elles peuvent aller jusqu’à prévoir une obligation de contracter. Le contenu de ce contrat n’est, lui aussi, pas uniforme. Selon le cas il peut notamment prévoir l’identité des personnes habilitées à négocier, les supports de transmission des informations et données (courrier, email, voire sms), le lieu où la négociation va se dérouler, la tenue de conférences téléphoniques, un calendrier à respecter, une obligation de ne pas négocier avec une autre partie, les modalités de rupture des négociations.

La liberté de rompre les négociations

Les parties sont libres de rompre les négociations. Cette liberté peut toutefois ne pas exister si les parties ont conclu un accord précontractuel leur imposant de parvenir à un contrat ou si cet accord prévoit des modalités de rupture, lesquelles doivent alors être respectées.

Même lorsque la liberté de rompre existe la rupture peut être une source de responsabilité. C’est le cas lorsque la rupture est abusive. Dans cette situation la rupture est fautive. Est notamment fautive la rupture brutale de négociations déjà très engagées (Cour de cassation, chambre commerciale, 22 avril 1997, N° de pourvoi: 94-18.953). De même est fautive la rupture d’une partie qui a pris soin d’entretien de manière illusoire l’espoir de parvenir à un accord (Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 18 juin 2002, 99-16.488 ).

La rupture fautive entraîne pour la victime de cette rupture le droit d’obtenir réparation de son préjudice. Ce sont les règles de la responsabilité délictuelle qui s’appliquent. La victime va pouvoir obtenir une indemnisation au titre des frais exposés lors des pourparlers ou des pertes occasionnées lors des négociations. Toutefois l’alinéa 2 de l’article 1112 du code civil exclu catégoriquement une indemnisation pour compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu ou la perte de la chance d’obtenir ces avantages.

b) L’obligation d’être de bonne foi

Les négociations doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi. Cette règle est posée par l’article 1112 du code civil. Elle fait écho à l’article 1104 du code civil, texte d’ordre public, qui prévoit que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette répétition peut être considérée comme étant une volonté du législateur d’insister sur l’importance de cette notion de bonne foi.

Cette obligation de satisfaire aux exigences de la bonne foi implique que les parties qui sont en négociation doivent avoir une sincère volonté de parvenir à un accord.

Certaines décisions de justice permettent d’illustrer la notion de bonne foi dans les négociations, même si ce terme n’est pas nécessairement mentionné dans la décision :

– ainsi ne respecte pas une obligation de bonne foi une partie qui entretien de manière illusoire l’espoir de parvenir à un accord (Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 18 juin 2002, 99-16.488 ) ;

– par contre une partie n’a pas l’obligation d’informer l’autre partie de l’existence de négociations avec un tiers (Cour de Cassation, Chambre commerciale, du 12 mai 2004, 00-15.618 ). La situation serait différente s’il a été affirmé que les négociations en cours sont exclusives. La bonne foi ne serait alors pas respectée. Serait également sanctionnable la violation d’une clause d’exclusivité si un accord précontractuel comportant une telle clause a été conclu entre les parties.

c) L’obligation d’information

L’obligation d’information est prévue par l’article 1112-1 du code civil en ces termes :

« Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. »

Cette obligation d’information pèse sur chaque partie. Elle est d’ordre public. Elle impose de délivrer à l’autre partie une information brute. Il ne s’agit pas d’une obligation de mise en garde ou de conseil.

L’obligation d’information formulée par l’article 1112-1 du code civil a été insérée dans le code civil par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Avant cette consécration textuelle qui rend l’obligation d’information générale et autonome le législateur avait déjà affirmé la nécessité de respecter une obligation d’information précontractuelle. Toutefois cette obligation existait uniquement dans des textes spéciaux, notamment en matière de vente, de location d’un local d’habitation, de conclusion de contrats entre un professionnel et un consommateur. L’obligation d’information n’avait donc pas de portée générale. Elle ne s’appliquait que dans des situations particulières. De son côté la jurisprudence a tenté de donner une portée générale à l’obligation d’information. Mais cette généralisation restait incertaine et elle n’était pas autonome. Les juridictions la rattachait soit à un texte spécifique, soit à des principes importants en droit des contrats.

L’article 1112-1 du code civil en affirmant une obligation d’information précontractuelle générale et autonome fait coexister ce texte avec les textes spéciaux déjà existants. A notre sens lorsque les textes spéciaux s’appliquent ils n’excluent pas l’application de l’article 1112-1. Les réglés posées par les textes spéciaux et l’article 1112-1 doivent se cumuler.

Le non respect de l’obligation générale d’information précontractuelle ouvre droit à réparation. Toutefois par application de l’alinéa 2 de l’article 1112 du code civil cette réparation ne peut pas compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu ou la perte de la chance d’obtenir ces avantages.

Ce non respect de l’obligation générale d’information précontractuelle peut également être sanctionnée par l’annulation du contrat si cette violation a entraîné un vice du consentement.

Le contrat finalement conclu pourrait il être résolu en raison d’un manquement à l’obligation d’information précontractuelle ? La jurisprudence allait antérieurement dans le sens d’une réponse affirmative. Le maintien de cette solution est toutefois incertain. Il faudra attendre que la cour de cassation se prononce sur cette question pour avoir plus de certitude.

d) L’obligation de confidentialité

L’article 1112-2 du code civil prévoit que celui qui utilise ou divulgue sans autorisation une information confidentielle obtenue à l’occasion des négociations engage sa responsabilité dans les conditions du droit commun.

La première lecture de ce texte peut donner à penser qu’il rend inutile les accords de confidentialité qui peuvent être conclu lors des pourparlers. Pourtant une lecture plus approfondie démontre qu’il n’en est rien.

Il demeure intéressant de conclure des accords de confidentialité afin de protéger les informations confidentielles. Avec un tel accord il va, notamment, être possible de déterminer la nature des informations confidentielles, point sur lequel l’article 1112-2 du code civil est taisant. Il va aussi être possible de préciser les personnes auxquelles l’information confidentielle peut être communiquée (conseils des parties en particulier) ainsi que la durée pendant laquelle la période de confidentialité doit être observée.

2) Le comportement applicable aux négociations

Si les négociations imposent de respecter des règles de droit il est nécessaire également de tenir compte d’autres éléments. En effet ce que vous souhaitez c’est obtenir un accord favorable à vos intérêts. Pour cela vous devez préparer un plan de négociation et adopter un comportement positif lors du déroulement des négociations.

a) La préparation d’un plan de négociation

Il ne serait pas raisonnable d’entrer en négociation sans préparer celle-ci. Vous devez établir un véritable plan de négociation.

Pour cela il faut :

– déterminer ce que vous voulez obtenir : par exemple un prix inférieur, ou réduire vos obligations, ou obtenir une prestation de meilleure qualité. Vous ne devez pas vous limiter à un seul domaine, il faut faire le point sur tous ce que vous voulez obtenir.

– fixer des ordres de priorité : certains buts à atteindre sont plus importants que d’autres. Il va exister des points bloquants et d’autres non. Lors des négociations vous devez veiller à obtenir satisfaction sur les buts les plus importants mais vous pouvez abandonner les autres au fil de l’eau. Les buts secondaires peuvent même vous servir de contrepartie pour obtenir satisfaction pour un but prioritaire.

– faire le point avec vos équipes et vos conseils : vous devez travailler en harmonie avec vos équipes et vos conseils. Ils ne vont pas forcément avoir la même analyse que vous. Il faut synthétiser les différentes remarques émises par eux.

– ne pas vous mettre en situation de faiblesse : un risque important consiste à montrer que vous voulez obtenir ce contrat à tout prix. Dans ce cas votre marge de négociation va voler en éclat. Attention si plusieurs interlocuteurs représentent la même partie. L’un d’entre eux risque de déclarer qu’il lui faut absolument ce contrat. La situation pour vous serait catastrophique. Il faut maîtriser la communication.

b) Un comportement positif lors du déroulement de la négociation

Vous devez veiller à adopter un comportement qui va vous aider à obtenir gain de cause dans la négociation :

– il faut être détendu, rester concentrer, s’exprimer clairement,

– il faut soigner votre attitude, vous devez avoir le torse ouvert (sans bomber le torse pour autant) au lieu d’être recroquevillé sur vous même,

– il faut rester cordial, poli et respectueux, attention à ne pas braquer l’autre partie par une déclaration ou un comportement inapproprié,

– l’échange de document : pour le fichier informatique lorsque plusieurs versions se succèdent il peut être intéressant de faire les modifications en mode révision. Après plusieurs échanges le fichier peut devenir illisible s’il y a beaucoup de modifications. Dans ce cas vous pouvez accepter certaines modifications pour ne laisser en évidence que les points encore en cours de discussion.

– il faut savoir clore les négociations : chacun doit veiller à protéger ses intérêts lors des négociations. Mais il n’est pas intéressants qu’elles s’éternisent. Lorsque l’accord semble acceptable il faut prendre la décision de clore les discussions et de conclure le contrat, quitte a abandonner vos points secondaires.