Lorsque le juge pénal prononce des peines qui n’existent pas

« Je fais confiance en la justice de mon pays ». Voici une formule très classique marquée, en fonction des circonstances et de la personne qui prononce ces mots, d’une grande naïveté ou au contraire d’un véritable sarcasme. Car rendue par des hommes et des femmes la justice est, à l’image de l’humanité, loin d’être parfaite.

Concernant plus particulièrement la matière pénale la justice a besoin d’être canalisée pour ne pas ouvrir la voie à l’arbitraire. Plusieurs principes tendent ainsi à servir de protection contre des dérives fâcheuses. Tel est notamment le cas du principe de la légalité des délits et des peines. Nullum crimen, nulla pœna sine lege selon un adage latin que les pénalistes n’ignorent pas et dont la transcription actuelle se retrouve dans notre Code Pénal.

En effet l’article 111-2 du Code pénal affirme que : « la loi détermine les crimes et délits et fixe les peines applicables à leurs auteurs. Le règlement détermine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions établies par la loi, les peines applicables aux contrevenants », tandis que l’article 111-3 dispose que « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l’infraction est une contravention ».

L’affirmation du principe de la légalité des délits et des peine est belle. Son application laisse par contre, parfois, à désirer. Concernant plus particulièrement le principe de la légalité des peines il arrive que des juges se trompent et appliquent pour une infraction particulière une peine prévue pour une autre infraction.

Il est également possible de constater, dans certains dossiers, que des juges outrepassent les peines prévues par la loi, pour un crime ou un délit, ou par le règlement, pour une contravention, en prononçant des peines plus sévères que celles qu’ils peuvent normalement appliquer.

C’est ainsi qu’en France des juges ordonnent des peines qui, en définitive, n’existent pas. Du moins elles n’existent pas dans les textes pour l’infraction en cause. Car pour les personnes ainsi sanctionnées ces peines vont s’appliquer dans toute leur rigueur si pour une raison ou une autre (mauvais conseils, difficultés financières, non respect des délais, etc…) une voie de recours n’est pas exercée et si celle-ci n’entraîne pas une modification de la sanction prononcée.

Il existe plusieurs arrêts de la Cour de cassation qui ont cassé des décisions rendues par des juges du fond en raison du non respect du principe de la légalité des peines. Souvent ces arrêts posent en principe que « nul ne peut être puni, pour un crime ou un délit, d’une peine qui n’est pas prévue par la loi » (1) ou que « les juges ne sauraient prononcer une peine non prévue par la loi » (2), ou encore « qu’aucune peine autre que celle appliquée par la loi à la nature de l’infraction ne peut être prononcée » (3) ou enfin que « les juges ne peuvent, sans excéder leurs pouvoirs, prononcer d’autre peine ou mesure que celle prévue par la loi » (4).

Pour bien comprendre les risques qui existent lorsque les personnes chargées de rendre la justice ne respectent pas ce principe essentiel il est nécessaire d’aller plus loin dans les détails et de consulter quelques exemples issues de la jurisprudence.

Ainsi la lecture d’un arrêt rendu le 6 mai 1998 par la chambre criminelle de la Cour de cassation permet de prendre connaissance du cas d’une personne qui a été condamné à deux mois d’emprisonnement pour conduite d’un véhicule malgré l’annulation du permis de conduire. Toutefois indique la Cour de cassation les faits ont été mal jugés par la Cour d’appel car l’infraction retenue n’était pas la bonne. En effet les faits constituaient en réalité l’infraction de contravention de conduite sans permis pour laquelle une peine d’emprisonnement ne peut être prononcée. Puisque nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi ou le règlement la cassation intervient donc sur ce point. Il faut néanmoins signaler qu’il résulte de cet arrêt qu’une autre peine de deux mois d’emprisonnement semble avoir été maintenue pour usurpation d’identité (5).

Pour prendre un autre exemple l’analyse d’un arrêt rendu le 19 décembre 1983 par la Cour de cassation permet de constater qu’une Cour d’appel n’a pas hésité à prononcer une peine de trois années d’emprisonnement pour abus de confiance alors que le maximum prévu par le code pénal est de deux années d’emprisonnement (6).

Si des juges se trompent en prononçant des peines d’emprisonnement qui n’ont pas lieu d’être ou dont la durée est excessive, force est de constater que des situations similaires existent pour le montant des amendes.

C’est notamment le cas lorsque des juges prononcent une amende pénale pour non respect de la législation relative aux relations financières avec l’étranger alors que l’amende ne pouvait s’appliquer dans ce cas (7), ou qui appliquent une amende de 300.000 francs à une personne qui s’était frauduleusement soustraite à l’établissement ou au paiement total ou partiel de l’impôt sur le revenu en ne réalisant pas sa déclaration dans les délais alors qu’en réalité le maximum de l’amende pour ce type de situation ne pouvait dépasser 250.000 francs en l’absence de circonstances aggravantes (8), ou qui prononcent une amende de 6.000 francs alors que le maximum applicable était de 3.000 francs (9), ou qui prononcent une amende non prévue par un texte pénal (10), ou encore qui ordonnent une amende de 500 francs pour franchissement d’une ligne jaune continue alors que le maximum de l’amende pour ce type d’infraction ne pouvait selon le code de la route dépasser 360 francs (11) ou enfin qui prononcent des amendes de 5.000 francs dans des cas où le montant maximum des amendes ne pouvait excéder 3.000 francs (12).

L’amende et l’emprisonnement sont les peines qui viennent le plus facilement à l’esprit. Mais d’autres sanctions peuvent être appliquées de façon excessive ou dans des cas non prévus par les textes. C’est ainsi que des peines perpétuelles ont été prononcées, comme une interdiction des droits civiques, civils et de famille sans limitation de durée alors qu’en cas de condamnation pour crime la durée ne pouvait excéder dix ans (13). L’ interdiction des droits civiques, civils et de famille, certes limitée à trois années, a aussi été prononcée dans des cas où elle ne devait pas recevoir application (14). Il en va de même concernant l’affichage d’une condamnation pour blessures involontaires à la porte d’une usine doublée d’une publication dans un journal alors que cette peine n’était pas prévue par la loi (15). Peuvent aussi être citées des suspensions de permis de conduire (16) ou de permis de chasser (17), prononcées dans des cas où ces sanctions ne pouvaient pas s’appliquer.

Ces citations de décisions de justice ne prétendent pas à l’exhaustivité. La consultation des banques de données jurisprudentielles permet facilement de trouver d’autres décisions de justice allant dans un sens similaire. Il peut toutefois ne s’agir que de la partie visible de l’iceberg puisque les recours contre l’application inexacte de la règle de droit, sur le point qui nous intéresse aujourd’hui, comme sur d’autres d’ailleurs, ne sont pas systématiques.

Notes de bas de page :

(1) v° notamment : Crim., 1 mars 1995, n° de pourvoi : 94-84.034.

(2) v° notamment : Crim., 3 octobre 1995, n° de pourvoi : 94-84.317.

(3) v° notamment : Crim., 12 mars 1990, n° de pourvoi : 89-82.674.

(4) v° notamment : Crim, 8 février 1995, n° de pourvoi : 94-81.031.

(5) Crim, 6 mai 1998, n° de pourvoi : 97-85.201.

(6) Crim, 9 décembre 1983, n° de pourvoi : 81-94.992.

(7) Crim., 21 mai 1990, n° de pourvoi : 89-84.385.

(8) Crim., 16 janvier 1997, n° de pourvoi : 96-80.952.

(9) Crim., 15 novembre 1977, n° de pourvoi : 76-93.659.

(10) Crim., 18 novembre 1975, n° de pourvoi : 74-93.181.

(11) Crim., 25 janvier 1972, n° de pourvoi : 71-97.352.

(12) Crim., 16 décembre 1998, n° de pourvoi : 97-86.288.

(13) Crim., 1 mars 1995, n° de pourvoi : 94-84.034.

(14) Crim., 25 septembre 1995, n° de pourvoi : 95-81.379.

(15) Crim., 3 octobre 1995, n° de pourvoi : 94-84.317.

(16) Crim, 1 juin 1994, n° de pourvoi : 93-82.877.

(17) Crim., 8 février 1995, n° de pourvoi : 94-81.031

Pour aller plus loin :

Le code pénal annoté des Editions Dalloz.

Le code pénal annoté des Editions Lexis Nexis.