L’interprétation juridique : l’idéologie se cache derrière les techniques connues

L’univers du droit, souvent perçu comme un ensemble de règles objectives et neutres, est en réalité imprégné d’une complexité intrigante. Derrière chaque interprétation juridique se cachent des dynamiques subtiles, des perspectives divergentes, et surtout, des idéologies qui guident les acteurs du monde juridique. Nous allons voir les arcanes de l’interprétation juridique et révéler comment les techniques d’interprétation se transforment en instruments au service d’idéologies sous-jacentes.

Section 1 : Les techniques d’interprétation

Les textes juridiques ne sont pas nécessairement clairs. Bien au contraire, ils sont souvent obscurs. La multiplicité des sources du droit et des textes, nous raisonnons ici principalement par rapport au droit français qui est un droit écrit, entraîne des contradictions et des conflits entre les règles applicables. Afin de donner une cohérence à cette multiplicité de règles juridiques obscures et contradictoires, il est alors nécessaire de recourir à une technique qui s’appelle l’interprétation juridique. Celle-ci n’est pas uniforme. Elle recoupe plusieurs techniques auxquelles il est possible de recourir de façon isolée ou au contraire d’une manière combinée en fonction des circonstances et des besoins spécifiques de chaque cas.

Ceci étant, les principales techniques d’interprétations sont les suivantes

– l’interprétation littérale : aussi appelée interprétation textuelle, elle se base sur le sens littéral des mots utilisés dans le texte juridique. C’est une approche strictement linguistique.

– l’interprétation téléologique : cette méthode se concentre sur l’objectif ou le but recherché par la loi. Les interprètes examinent l’intention du législateur pour comprendre la finalité de la loi.

– l’interprétation historique : elle implique l’examen du contexte historique entourant l’adoption de la loi. Les interprètes se réfèrent aux débats législatifs, aux rapports de commission, etc.

– l’interprétation systématique : les textes juridiques ne sont pas isolés, mais font partie d’un système juridique plus large. Cette méthode examine la cohérence et la logique du système dans son ensemble.

– l’interprétation comparative : consiste à comparer la loi en question avec des lois similaires dans d’autres juridictions afin de comprendre comment elles sont interprétées ailleurs.

– l’interprétation évolutive : tient compte des changements sociaux et des évolutions de la société pour interpréter les lois de manière à les adapter aux réalités contemporaines.

– l’interprétation a contrario : si une règle s’applique dans une situation, elle ne s’applique pas dans une situation similaire délibérément exclue.

– l’interprétation a fortiori : c’est une extension logique de la règle. Si une règle s’applique dans une situation donnée, elle s’appliquera d’autant plus dans une situation similaire, mais plus accentuée.

– l’ interprétation par analogie : consiste à appliquer une règle énoncée dans un texte législatif à une situation similaire qui n’est pas expressément prévue par la loi.

– l’ interprétation par assimilation : elle consiste à assimiler une situation à une autre qui est expressément prévue par la loi.

Nous pouvons ainsi constater qu’il existe plusieurs techniques d’interprétation juridique. Cette multiplicité devrait permettre d’interpréter au mieux les règles de droit pour parvenir à la solution la plus conforme à l’ordre juridique.

En pratique, il n’en est rien.

Section 2 : Les techniques d’interprétation ne sont que des outils aux mains d’un cadre idéologiques

Les techniques d’interprétation juridique, en apparence neutres et objectives, ne sont en réalité que des outils utilisés pour assouvir les besoins d’une idéologie car la personne qui doit parvenir à une solution juridique n’est ni neutre ni objective dans le sens où elle est toute entière habité par ses idées, ses concepts, ses souhaits, son passé et plus largement par ce qu’elle est.

Dès lors, les techniques d’interprétation juridique peuvent ne pas partir d’une situation pour parvenir à une solution, mais au contraire, elles partent d’une solution envisagée ou souhaitée pour rétroactivement justifier l’interprétation des textes juridiques qui la sous-tendent. L’interprétation juridique n’est alors qu’un habillage, un travestissement, une dissimulation d’une idéologie qui elle seule en réalité justifie la solution.

Les convictions personnelles des juristes jouent un rôle déterminant dans la manière dont ils interprètent les règles de droit. Par exemple, une personne avec des convictions progressistes peut interpréter les principes constitutionnels tels que l’égalité et la liberté individuelle d’une manière différente de quelqu’un avec des convictions conservatrices. Cette diversité d’interprétations met en lumière la subjectivité inhérente au processus d’interprétation juridique.

Section 3 : la neutralité n’existe pas

Lorsqu’il interprète une règle de droit un juriste, et tout particulièrement un juge car il détient si ce n’est la vie d’une personne entre ses mains au moins ses intérêts qui peuvent impacter, voire détruire, sa vie, devrait être neutre, terme auquel certains préfèreront substituer le terme impartial.

Mais cela ne peut être.

Les juges, avocats et autres professionnels du droit sont des individus avec leurs propres systèmes de valeurs, croyances et expériences qui peuvent inévitablement colorer leurs interprétations et décisions. Ceci est inévitable. Contester cet état de fait reviendrait à considérer la justice comme étant rendue par des êtres désincarnés.

Section 4 : L’idéologie et les décisions de justice

La présence section n’a pas vocation à lister de façon exhaustive des décisions de justice qui s’expliquent par la volonté de faire triompher une idéologie particulière tant elles sont fréquentes, voire omniprésentes, mais de donner seulement quelques exemples.

Si nous faisons du droit comparé nous pouvons citer l’affaire Brown v. Board of Education aux États-Unis, qui a radicalement changé la trajectoire de la déségrégation scolaire. L’idéologie des juges de la Cour suprême, affirmant l’inconstitutionnalité de la ségrégation raciale dans les écoles, a laissé une marque indélébile dans l’histoire de ce pays.

Plus près de nous, du moins géographiquement, l’affaire Louise Ménard, survenue à Château-Thierry en 1898, résonne comme un écho humaniste au sein du système judiciaire de l’époque. Face à une situation de détresse sociale, Louise Ménard, dans le dénuement le plus total, vole un pain pour nourrir sa famille affamée. Le juge Magnaud, président du tribunal de cette ville, décide de relaxer Louise Ménard. Cette décision n’était pas simplement la clémence d’un homme de loi, mais plutôt la reconnaissance d’une idéologie sous-jacente : l’humanisme. L’humanisme, dans le contexte de l’affaire Louise Ménard, s’exprime à travers la prise en compte des conditions de vie difficiles de l’accusée. Le juge Magnaud, en relaxant Louise Ménard, a implicitement reconnu que la priorité devait être accordée à la sauvegarde de la personne dans des situations de danger imminent. Cela a donné naissance à l’état de nécessité, que l’on retrouve actuellement à l’article 122-7 du code pénal, en ces termes : « n’est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s’il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ».

Contrairement à ce que l’on pourrait penser et même s’il n’existe pas en France d’arrêt de règlement par application de l’article 5 du code civil selon lequel « il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises » les décisions de justice lorsqu’elles font triompher une idéologie sont susceptibles d’avoir une influence radicale sur la société, ce qui est naturellement encore plus le cas lorsque la décision en cause est rendue par un organe aussi particulier que le conseil constitutionnel qui n’est bien évidemment pas soumis au respect de l’article 5 du code civil. Ainsi ceux qui rendent des décisions de justice peuvent ne pas vouloir limiter leur idéologie au dossier en cause mais peuvent désirer faire avancer leur calendrier pour imposer cette idéologie à la société toute entière.