Les couvre-feux se multiplient : en toute illégalité ?

Après avoir constaté que de nombreuses personnes ne respectent pas les règles relatives au confinement plusieurs municipalités ont décidé de réagir en adoptant un couvre feu.

C’est ainsi qu’à Nice le maire Christian Estrosi a pris un arrêté municipal qui a instauré un couvre-feu qui porte interdiction de se déplacer ou de circuler sur le territoire de la commune jusqu’au 31 mars, entre 23 heures et 4 heures. D’autres communes lui ont emboîtées le pas, notamment les municipalités de Vallauris-Golf-Juan (Alpes-Maritimes), Menton (Alpes-Maritimes), Cannes (Alpes-Maritimes), Pourrières (Var), Perpignan (Pyrénées-Orientales), Roquebrune-sur-Argens (Var), Bandol (Var), Charleville-Mézières (Ardennes), Arras (Pas-de-Calais), Béziers (Hérault), cette dernière commune étant historiquement, comme expliqué ci-dessous, déjà adepte des couvre-feux. Selon les communes en cause l’interdiction peut ne pas porter sur la totalité du territoire communal et les horaires peuvent être différents que ceux cités ci-dessus.

La situation sanitaire actuelle est bien évidemment dangereuse pour la santé des personnes. Elle l’est aussi pour les libertés publiques. Le pouvoir politique, peu importe sa coloration politique et son niveau d’exercice, à une tendance naturelle à détruire les libertés publiques et à faire acte d’autoritarisme dès qu’il le peut. Les crises, de toute nature, sont en général une bonne occasion pour rogner plus facilement les libertés publiques. L’exécutif peut d’ailleurs s’appuyer sur la jurisprudence Heyriès et sur la théorie des circonstances exceptionnelles pour mettre à bas les libertés publiques en temps de crise.

Les municipalités en prenant des arrêtés municipaux qui instaurent des couvre-feux portent manifestement atteintes aux libertés publiques. Le couvre-feu a déjà antérieurement, dans d’autres circonstances, fait l’objet de plusieurs polémiques et de décisions de justice desquelles il résulte qu’une municipalité ne peut pas faire, dans ce domaine, notamment, selon son bon vouloir et que l’instauration d’une telle mesure devait être justifiée. Ainsi le Conseil d’État dans un arrêt en date du 06 juin 2018 avait estimé que qu’un couvre-feu concernant des mineurs instauré par la commune de Béziers n’était pas justifié.

Il est donc possible de s’interroger sur la légalité des couvre-feux pris récemment par des municipales pour interdire à des personnes de rester sur le territoire de ces communes et pour les contraindre ainsi à respecter les mesures de confinement ordonnées en France.

Selon le préfet du Var l’instauration de ce type de couvre-feux n’est pas de la compétence des communes. Dans un article publié le 21 mars 2020 sur le site du journal Var Matin les propos suivants sont prêtés à la préfecture : « l’analyse juridique démontre que la prise des arrêtés concernant le couvre-feu sur le volet sanitaire est de la compétence exclusive du préfet« . Dans le département voisin de celui du Var, à savoir les Alpes-Maritimes, le préfet vient lui de prendre un arrêté portant sur la totalité du territoire de ce département qui instaure un couvre-feu dès le dimanche 22 mars 2020 à 22 heures, en raison de faits relatés par le préfet de ce dernier département et peut être aussi pour « couvrir » les arrêtés pris par les communes de ce département et dont la légalité peut être douteuse.

Le Conseil scientifique doit rendre ce lundi 23 mars 2020 son avis sur la durée et l’étendue du confinement de la population en France. Il n’est pas exclu de voir suite à cet avis intervenir un couvre-feu portant sur la totalité de la France.

Pour aller plus loin :

Présentation de la jurisprudence Heyriès et de la théorie des circonstances exceptionnelles sur le site du Conseil d’État.

Consultation sur le site du Conseil d’État de l’arrêt relatif au couvre-feu contre les mineurs instauré par la commune de Béziers : Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, arrêt du 06 juin 2018,

Consultation de l’article publié par Var Matin : Couvre-feu sur certaines villes du Var, le préfet ne va pas dans ce sens.

Consultation de l’article publié par Var Matin : le préfet instaure un couvre feu dans tout le département des Alpes-Maritimes à partir de ce dimanche 22 heures.