Comment l’usage du Palais de mémoire optimise la mémoire des juristes

Le Palais de mémoire est connu sous d’autres appellations : art de mémoire, méthode des lieux, méthodes des loci (le terme « loci » signifiant « lieux » en latin). C’est en prenant connaissance de l’ouvrage d’Idris Aberkane « Libérez votre cerveau, Traité de neurosagesse pour changer l’école et la société », et plus particulièrement des développements en page 50 dudit livre, que j’ai appris l’existence de cette technique de mémorisation. Je vais vous présenter l’origine et l’historique du palais de mémoire, avant de procéder à une description de cette technique. J’aborderais ensuite l’usage de cette technique et je vous indiquerais des données complémentaires.

1) L’origine et l’historique du palais de mémoire

Le palais de mémoire est une technique issue de l’Antiquité. La trace écrite la plus ancienne de cette technique est retrouvée dans le Rhetorica ad Herennium, que l’on peut traduire par Réthorique à Herennuis, manuel en latin attribué à un auteur inconnu. La rédaction de ce manuel est datée d’environ l’an 85 avant J.-C. Cet ouvrage est considéré comme constituant la source antique la plus complète concernant le palais de mémoire, appellation plus récente qu’il n’utilise pas puisqu’il fait référence à la méthode des lieux, et plus exactement des loci.

Cet méthode est par la suite citée par Cicéron, Quintilien et Aristote. Cicéron dans son De Oratore attribue la paternité du palais de mémoire au poète Simonide de Céos. L’utilisation du palais de mémoire perdura ultérieurement lors du moyen âge et lors de la renaissance.

Toutefois sa diffusion s’affaiblit ensuite, notamment en raison de critiques émises par des esprits puritains. A l ‘époque contemporaine son enseignement est quasiment inexistant. Les cursus scolaires et universitaires l’ignorent superbement. Cet abandon est malheureusement conforme à l’enseignement tel qu’il est conçu en France qui au lieu de viser l’excellence et le développement des compétences s’astreint à l’uniformisation des personnes vers le niveau le plus faible et soumis possible. Sa plus grande présence actuelle en France réside dans l’emploi des termes « en premier lieu…, en second lieu… ». En se référant à une succession de lieux les personnes qui emploient ces termes renvoient sans le savoir à la technique du palais de mémoire. En effet comme nous allons le voir lors de la description de la technique du palais de mémoire les lieux sont une composante essentielle de celui-ci.

2) La description du palais de mémoire

Selon Cicéron la paternité du palais de mémoire doit être attribuée à Simonide de Céos. C’est à l’occasion d’un évènement tragique que Simonide de Céos a découvert cette méthode. Avec plusieurs personnalités importantes de son époque Simonide de Céos participait à un banquet donné par un noble de Thessalie répondant au nom de Scopas.

Pendant ce banquet on indiqua à Simonide de Céos que deux personnes l’attendaient à l’extérieur. Il sortit alors du bâtiment. Il ne trouve pas les deux personnes en question mais le fait de ne plus être dans la construction lui sauva la vie. En effet alors qu’il était à l’extérieur le toit du bâtiment s’écroula entraînant le décès des participants à ce banquet. Le poids de la structure broya littéralement les corps. En raison de l’état des cadavres les familles, qui désiraient emporter leurs proches pour les funérailles, se trouvèrent dans l’impossibilité d’identifier les personnes décédées. Il avait alors été décidé de demander à Simonide de Céos d’aider à l’identification des cadavres. Celui-ci y parvient en se remémoriant la place qu’occupait chaque participant à la table du banquet.

L’apport essentiel de Simonide de Céos à l’identification des corps des personnes décédées repose sur la mémoire. Avec cet évènement dramatique Simonide de Céos compris que la visualisation permet une meilleure mémorisation.

Ainsi naquit l’art de mémoire. Dans son De Oratore en se référant à Simonide de Céos Cicéron affirme que cette technique nécessite de « choisir en pensée des lieux distincts, se former des images des choses qu’on veut retenir, puis ranger ces images dans les divers lieux. Alors l’ordre des lieux conserve l’ordre des choses ; les images rappellent les choses elles-mêmes. Les lieux sont des tablettes de cire sur lesquelles on écrit ; les images sont des lettres qu’on y trace ».

Ainsi le Palais de mémoire est une méthode mnémotechnique qui repose sur la mémoire visuelle et sur les associations entre des lieux et des images. En effet les lieux et les images sont plus aisément mémorisables que des mots ou des phrases entières.

Cette technique consiste à placer des images mémorables sur un trajet imaginaire et à imprimer dans sa mémoire aussi bien les images que le trajet. Le trajet imaginaire doit correspondre à des lieux connus d’une façon parfaite. Il peut notamment s’agir d’une maison familiale ou du trajet effectué fréquemment, comme de nos jours celui qui permet de se rendre de son domicile à son travail. Les images représentent les éléments qu’il faut retenir. Pour permettre une bonne mémorisation le choix des images est essentiel. Les images doivent être frappantes et illustratives pour faciliter la mémorisation. Elles peuvent être choquantes, violentes, disproportionnées, chimériques, autant de caractéristiques qui facilitent la mémorisation. Ces images sont des réceptacles à souvenir dont le positionnement va correspondre à des endroits clefs du chemin à parcourir.

Ainsi les images illustrent les éléments qu’il faut mémoriser. Le parcours détermine l’ordre dans lequel la mémorisation des images doit être faites. Dès lors que le chemin imaginaire a été établi et que les images ont été déposées aux endroits choisis il faut parcourir mentalement plusieurs fois ce chemin pour parvenir à une bonne mémorisation de celui-ci et des images.

Lorsqu’il sera nécessaire de restituer les éléments mémorisés il suffira de refaire mentalement le parcours du palais de mémoire.

3) L’usage du palais de mémoire

Le palais de mémoire est un formidable outil de mémorisation pour les personnes qui parviennent à maîtriser cette technique. L’art de mémoire permet d’apprendre par coeur mais il n’est pas, à notre sens, adapté pour permettre la compréhension d’éléments particuliers, situation pour laquelle d’autres outils seront plus appropriés.

Idriss Aberkane dans son ouvrage précité indique que cette technique est utilisée par tous les athlètes de la mémorisation, ce qui ne peut qu’impressionner au vu des résultats qu’ils obtiennent. Le palais de mémoire permet d’apprendre des livres entiers. Historiquement cette technique a permis aux religieux de l’antiquité et du moyen âge de retenir la Bible, la Torah, le Coran. Le palais de mémoire peut aussi être utilisé pour retenir des discours. Des acteurs ont recours à cette technique pour retenir une pièce de théâtre entière.

Cette technique peut servir à tout un chacun sous la réserve de parvenir à la maîtriser et d’avoir un fonctionnement adapté à celle-ci. Le palais de mémoire peut bien évidemment aussi être utilisé par les juristes que ce soit lors de ses années de formation ou dans le cadre de son activité professionnelle, le meilleur exemple provenant d’ailleurs de Cicéron lui-même puisqu’il était un adepte du palais de mémoire.

Ainsi pour un juriste le palais de mémoire peut être utilisé pour retenir un cours, un livre, de la jurisprudence, une plaidoirie, des définitions. Le palais de mémoire ne va pas être construit pour retenir chaque mot. Il va être élaboré pour retenir les mots clefs, les points déterminants. Le choix des images devra être effectué en ayant à l’esprit une relation avec la matière juridique à traiter. Par exemple pour la nomination d’un administrateur ad hoc, vous pouvez visualiser l’image du capitaine haddock, pour un meurtre vous pouvez visualiser l’image d’un cadavre recouvert de sang. Le choix de chaque image est personnel. Toutefois il faut conserver à l’esprit que l’image doit être «  parlante », autrement dit significative ou évocatrice, et facilement mémorisable notamment en raison de sa taille, de son caractère choquant, déplacé ou obscène.

4) Données complémentaires

Le terme « réceptacles à souvenir » utilisé dans cet article semble avoir été créé par Madame Hèlene Weber. Psychologue, sociologue et formatrice elle a notamment publié aux éditions Eyrolles un ouvrage intitulé « Objectif Mémoire ». Elle est également autrice du site internet donnezdusens.fr.

Les références de l’ouvrage d’Idriss Aberkane : Idriss Aberkane, Libérez votre cerveau, Traité de neurosagesse pour changer l’école et la société, Editions Robert Laffont, Collection Réponses, 2017, ISBN 2221215540.