Le raisonnement juridique

Le raisonnement juridique correspond à un syllogisme dont les conclusions peuvent être influencées par des techniques d’interprétation. Ces techniques d’interprétation peuvent entraîner un affaiblissement de la sécurité juridique qui devrait régner dans le domaine du droit.

1) Le syllogisme juridique

Dans les différentes traités qui composaient l’Organon Aristote avait décrit le syllogisme. Selon lui le syllogisme correspond à un raisonnement logique composé de trois propositions : une prémisse majeure, une prémisse mineure et une conclusion. La prémisse majeure est appliquée sur la prémisse mineure et le résultat de cette application donne une conclusion.

L’exemple de syllogisme le plus connu est le suivant :

– tous les hommes sont mortels (prémisse majeure),
– or Socrate est un homme (prémisse mineure),
– donc Socrate est mortel (conclusion).

Le raisonnement juridique correspond à l’application de ce type de syllogisme dans le domaine spécifique du droit, d’où l’expression syllogisme juridique.

Appliqué dans le domaine juridique le syllogisme conduit ainsi à considérer que la règle de droit constitue la prémisse majeure, tandis que les faits correspondent à la prémisse mineure. L’application de la règle de droit (prémisse majeure) aux faits de l’espèce (prémisse mineure) entraîne la conclusion, autrement dit la solution, du dossier concerné.

2) Les techniques d’interprétation

Le syllogisme juridique étant un raisonnement logique il est essentiel pour le respecter de s’en tenir strictement à la règle de droit à appliquer et plus précisément, s’agissant du droit français qui est essentiellement un droit écrit, à la lettre du texte applicable.

Toutefois il existe en droit des techniques puissantes qui permettent de ne pas être limités par le texte. Ce sont les techniques d’interprétation.

L’interprétation exégétique ou par référence à l’esprit de la loi : cette technique se situe dans le prolongement du respect du texte de la loi mais dépasse celui-ci. Elle consiste à rechercher l’esprit du texte, la volonté de son auteur.

L’interprétation par analogie ou a pari : consiste à rechercher une solution en s’inspirant des règles applicables dans un cas semblable ou à défaut très proche.

L’interprétation a contrario : selon ce raisonnement, qui ne peut pas être tenu pour toutes les règles de droit, lorsqu’une solution doit s’appliquer à un cas particulier si la règle de droit applicable est silencieuse sur le cas contraire, alors il faut appliquer à ce que cas contraire la solution inverse à celle prévue par la règle de droit.

L’interprétation a fortiori : le terme a fortiori signifiant « à plus forte raison » il faut comprendre que cette interprétation permet d’étendre une règle de droit applicable à une situation pour l’appliquer à une autre situation à laquelle elle peut s’appliquer « à plus forte raison » car l’application de la solution retenue est encore plus évidente dans le second cas que dans le premier cas.

L’interprétation stricte : cette technique d’interprétation consiste à considérer que la règle de droit doit être appliquée le plus strictement possible, sans étendre, ou à l’inverse, restreindre celle-ci. Cette technique d’interprétation est principalement utilisée en matière pénale pour les règles d’incrimination et de pénalité.

3) L’affaiblissement de la sécurité juridique par l’interprétation

Le syllogisme juridique doit normalement favoriser une certaine sécurité juridique. En effet il faut appliquer aux faits d’un dossier la règle de droit qui correspondent à ces faits ce qui permet d’obtenir une solution conforme à la règle de droit. Cette solution peut être affirmée par un juge lors d’un conflit mais elle peut aussi être envisagée au préalable par les parties.

Cette sécurité juridique va toutefois se trouver dégradée par l’usage des techniques d’interprétation. Avec celles-ci il devient possible de modifier la portée et le contenu d’une règle de droit et de faire dire à la règle de droit ce qu’en réalité elle n’a à aucun moment envisagé. Il est également possible au lieu de tenir compte des faits et de la règle de droit pour parvenir à une solution de procéder inversement en tenant prioritairement compte de la solution souhaitée pour interpréter ensuite la règle de droit afin de l’adapter aux faits de l’espèce et de parvenir ainsi à la solution préalablement arrêtée.

Les règles de droit produites par les institutions sont des faibles qualité. Les auteurs desdites règles ne sont pas au niveau auquel ils devraient être. Il en résulte un corpus juridique absolument catastrophique qui manque de clarté et de cohérence.

En raison de cette situation l’interprétation apparaît comme étant un mal nécessaire. En présence de règles de droit imparfaites il est nécessaire de trouver une solution et celle-ci passera par l’interprétation. Encore faut-il bien mesurer les conséquences de l’interprétation. Car l’interprétation c’est la voie ouverte sans aucune protection à la soumission à la seule volonté de l’auteur de l’interprétation. C’est la voie ouverte à l’insécurité juridique la plus totale. C’est à la voie ouverte à l’arbitraire.

La reconnaissance de ce risque d’arbitraire est d’ailleurs reconnue par le droit lui-même. En droit pénal, domaine sensible s’il en est, c’est pour lutter contre cet arbitraire qu’une interprétation stricte est préconisée. Mais cette préconisation est elle-même battue en brèche par la pratique de certains juges et n’est donc pas nécessairement couronnée de succès. Ainsi en matière pénale certains juges sont allés jusqu’à sanctionner des personnes par des peines qui ne sont pas légalement prévues et qui donc n’existent pas dans les règles de droit applicables. D’autres ont rendu, avec l’aval de la Cour de cassation des arrêts contra legem, c’est à dire des décisions de justice manifestement irrespectueuses du droit applicable.

4) Pour aller plus loin

Consultation sur Legavox de l’article « Quand la Cour de cassation viole la Loi… » de Maître Olivier Descamps.